Les procès de compétence universelle qui permettent aux tribunaux nationaux de poursuivre les auteurs présumés de crimes commis à l’étranger contre un étranger, restructurent l’ordre juridique international. Cette évolution s’accompagne malheureusement de temporisations et d’incohérences à la mesure des enjeux que les Etats concernés assignent à la justice pénale internationale dans leurs stratégies diplomatiques. En France, au développement progressif des procès menés à l’encontre de tortionnaires présumés s’oppose l’inertie des pouvoirs publics pour lutter contre l’impunité des auteurs présumés des crimes les plus graves.
Ainsi, la transposition dans le droit pénal français de la Convention sur la torture de 1984 a permis l’application du mécanisme de compétence universelle. Après de nombreuses plaintes classées sans suite par le parquet, un premier arrêt était rendu le 1er juillet 2005 par la Cour d’assises du Gard à l’encontre d’un officier mauritanien, Ely Ould Dah. Le procès qui s’ouvre à Strasbourg le 15 décembre 2008, constitue une seconde étape de ce difficile processus. Un ancien vice-consul tunisien, Khaled Ben Saïd qui fut en poste dans la ville siège du Parlement européen, est en effet accusé d’actes de tortures commis dans les années quatre-vingt-dix en Tunisie à l’encontre d’une femme de nationalité tunisienne. A l’exemple du premier, ce procès n’aurait jamais pu voir le jour s’il n’avait été porté par la détermination des victimes et des parties civiles, la Fédération internationale des Droits de l’homme (FIDH) et la Ligue des Droits de l’homme (LDH). Le processus judiciaire s’est en effet heurté à deux résistances. Durable, la première trouve sa source dans l’autoritarisme des autorités tunisiennes, qui refusèrent d’exécuter la commission rogatoire internationale. Transitoire, le second obstacle fut le refus du parquet de voir poursuivi le tortionnaire présumé. Passant finalement outre cet avis, le juge d’instruction a renvoyé Khaled Ben Saïd devant la Cour d’assises.
Ce que la loi française autorise en matière d’actes de torture, elle l’interdit pour les auteurs des crimes définis par le Statut de Rome qui a institué la Cour pénale internationale en 1998, à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Reporté pendant près dix ans, le vote au Sénat en juin 2008 du projet de loi permettant de poursuivre les auteurs de ces crimes a rendu inopérant ce que le procès de Strasbourg met si justement en lumière, l’importance majeure des parties civiles pour contrer la passivité du ministère public. Le Sénat a en effet confié le monopole des poursuites au parquet, en rupture radicale avec la tradition pénale française qui permet le déclenchement des poursuites par les parties civiles. Il a de plus introduit une condition de double incrimination en vertu de laquelle ces crimes ne seraient poursuivis en France qu’à condition d’être incriminés par la loi pénale du pays où ils ont été commis. Il a également instauré une condition de résidence habituelle sur le territoire français de l’auteur des faits. Aucun autre système juridique en Europe n’accumule autant d’obstacles à la poursuite des criminels internationaux.
En instituant des différences majeures dans l’accès à la justice entre les victimes de torture et celles d’autres crimes internationaux, ce projet de loi met à mal le principe d’égalité des citoyens devant la loi. Sa discussion à l’Assemblée nationale en 2009 doit être l’occasion pour les députés de supprimer les incohérences de ce texte en se montrant intransigeants sur le respect des engagements passés dans la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves qui heurtent la conscience et la mémoire de l’humanité toute entière.
Patrick Baudouin (président d’honneur de la FIDH), Jean-Philippe Dedieu (coordinateur de la CFCPI) et Simon Foreman (président de la CFCPI).
date de publication : 14 décembre 2008
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