Cette tribune de la CFCPI a été publiée sur le site du Monde.fr à l’occasion du dixième anniversaire de l’arrestation du Général Pinochet à Londres.
Le 16 octobre 1998, le Général Augusto Pinochet Ugarte était arrêté lors d’un déplacement à Londres à la suite d’un mandat d’arrêt émis par le juge espagnol, Baltasar Garzón. La chambre des Lords votait la levée de son immunité quelques semaines plus tard. Cette décision a mis fin à un quart de siècle d’impunité depuis le renversement du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende et l’instauration d’une dictature responsable de plusieurs milliers d’assassinats, de disparitions et d’actes de torture. L’arrestation de l’ancien chef d’État ne peut être lue comme un évènement propre à l’histoire chilienne.
L’évènement est universel à titre symbolique. Cette arrestation a permis aux victimes ou aux familles de victimes de crimes similaires commis sur d’autres continents d’espérer que leurs auteurs soient également jugés un jour. L’évènement est universel à titre juridique. Cet exemple met en lumière le principe d’une compétence extraterritoriale dont la définition est simple. La compétence extraterritoriale ou universelle permet aux tribunaux nationaux de poursuivre, lorsqu’ils se trouvent sur leur territoire, les auteurs présumés de crimes commis à l’étranger contre un étranger.
Cette arrestation s’inscrit dans l’histoire de la création de normes internationales en matière de justice portée par les tragédies collectives du long XXème siècle. Instaurée par le Tribunal militaire de Nuremberg en 1945, elle s’est prolongée par le procès en 1961 d’Adolf Eichmann à Jérusalem. Au début des années quatre-vingt-dix, le Conseil de sécurité de l’ONU instituait les tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie puis pour le Rwanda. Plus récemment, 120 États réunis à Rome approuvaient en 1998 la fondation de la Cour Pénale Internationale.
La France fut, avec ses partenaires de l’Union européenne, l’un des premiers États à ratifier le Statut de Rome sous le gouvernement de Lionel Jospin en 2000.
Mais il a fallu attendre 2008 pour qu’elle envisage enfin, dans un projet adopté par le Sénat mais pas encore par l’Assemblée nationale, de poursuivre en France les auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, comme le prévoit le Statut de Rome. Encore le Sénat n’a-t-il franchi cette étape qu’à contrecœur, en vidant aussitôt le principe de sa substance. Ainsi le texte exige-t-il, pour que de tels criminels soient poursuivis, qu’ils établissent leur « résidence habituelle » en France : à ce compte, l’arrestation de Pinochet, qui n’avait évidemment pas établi sa « résidence habituelle » en Angleterre, aurait été impossible. Ainsi encore les sénateurs ont-ils voulu empêcher les victimes de génocide, crimes contre l’humanité ou crimes de guerre de saisir directement la justice, contrairement aux victimes de crimes de droit commun qui, en France, peuvent se constituer partie civile.
La réticence française est particulièrement choquante au regard de l’extrême gravité des crimes en question. Elle l’est aussi au moment où la France préside l’Union européenne. Les tribunaux allemands, anglais, danois, espagnols, belges, néerlandais, ont déjà jugé des Bosniaques, des Afghans, des Argentins, des Rwandais responsables de tels crimes. La plupart des membres de l’Union ont de plus procédé à une harmonisation de leur législation à l’exemple de l’Allemagne, de la Belgique, de l’Espagne, de la Norvège, des Pays Bas ou du Portugal.
Etat d’exception en matière de poursuites judiciaires pour des crimes d’exception, la France renforce l’impunité des criminels internationaux sur son territoire. La célébration de l’arrestation de Pinochet témoignerait-elle du caractère strictement symbolique de la politique française ? Prétendre à l’universel. Se contenter de l’exception.
• Anne Cécile Antoni, Présidente de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT)
• Mouloud Aounit, Bernadette Hétier et Renée Le Mignot, collège de la Présidence du Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP)
• André Barthélemy, Président d’Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme
• Régine Barthélémy, Présidente du Syndicat des Avocats de France
• Patrick Baudouin, avocat et président d’honneur de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
• Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
• Odile Biyidi, présidente de l’association Survie
• Françoise Bouchet-Saulnier, auteure du Dictionnaire pratique du droit humanitaire (La Découverte)
• William Bourdon, Président de Sherpa
• Delou Bouvier, Syndicat de la magistrature
• Sylvie Bukhari de Pontual, Présidente de la Fédération internationale de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (FIACAT)
• Olivier Bureth, Président de la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats (FNUJA)
• Claudine Chiffaudel, ancienne présidente fondatrice du Comité d’aide aux réfugiés (CAAR)
• Jean-Pierre Dubois, Président de la Ligue des Droits de l’Homme (LDH)
• Simon Foreman, Président de la Coalition française pour la Cour pénale internationale (CFCPI)
• Geneviève Garrigos, Présidente d’Amnesty International France
• Marianne Lagrue, Présidente d’ELENA France (European Legal Network on Asylum)
• Nathalie Muller-Sarallier, Barreau des Hauts de Seine
• Maurice Voutey, Président délégué de la Fédération Nationale des Déportés et Internés, Résistants et Patriotes
date de publication : 17 octobre 2008
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