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Interview de Bruno Cotte, juge à la CPI

Publié le 25 mai 2008

1) Le procès de Thomas Lubanga Dyilo, premier accusé à être jugé à la CPI a encore une fois été repoussé (au 23 juin). Quels sont d’après vous, les raisons de ces retards répétés ?

N’oublions pas tout d’abord que je n’ai pas encore pris mes fonctions à la CPI. Je ne rejoins la Cour que le 1er juin prochain et c’est une fois en fonction que je pourrai peut-être émettre un avis pertinent sur l’avancement des dossiers en cours. S’agissant de l’affaire Lubanga, j’observe toutefois que l’audience de confirmation des charges s’est tenue en janvier 2007 et que la chambre de première instance a, m’a-t-il semblé, effectivement commencé la phase préparatoire de l’audience dans le courant de l’été 2007. A la lecture du site de la Cour, je constate que sont intervenues de nombreuses décisions, notamment d’ordre procédural ou sur la place que doivent occuper les victimes… tous ces préalables ont leur importance et les choix que sont actuellement conduits à faire les trois juges anglais, costa-ricain et bolivien, qui composent cette chambre, auront une importance primordiale dans l’avenir. Le temps qui s’écoule avant l’ouverture des débats ne me paraît donc pas perdu et je suis certain que mes trois collègues ont à cœur de commencer rapidement le jugement de cette affaire et surtout de commencer dans les meilleures conditions.

2) Quels sont, d’après vous, les principaux enjeux et défis de la Cour aujourd’hui ?

Une des principales difficultés que rencontre la Cour, et c’est donc l’un de ses principaux défis, tient à son absence de pouvoir contraignant au stade des enquêtes. Sans forces de police, elle dépend de la bonne volonté des Etats pour la mise à exécution effective des mandats d’arrêt qu’elle délivre. L’exemple du Darfour est, à cet égard, particulièrement significatif et l’irritation, comme la détermination, du président Kirsch et du procureur Moreno-Campo notamment lors de leurs interventions devant l’assemblée des Etats parties, en décembre dernier, en témoignent.

La nécessité d’atteindre les « vrais » responsables me semble être également un des principaux défis auquel est confronté la Cour, les juridictions nationales assurant de leur côté la poursuite et le jugement des exécutants. Il est donc indispensable, lorsqu’elle est saisie par un Etat, que la cour bénéficie de la part de ce dernier d’une coopération maximale. Pour l’observateur extérieur que je suis encore, tel paraît être le cas de la république démocratique du Congo puisque trois mandats d’arrêt ont déjà été exécutés. Il est en tous cas certain que, pour être réellement dissuasive, la Cour devra frapper haut et vite.

Enfin chacun sait que les agendas diplomatiques et judiciaires peuvent ne pas avoir les mêmes logiques… la situation en Ouganda en est actuellement un exemple intéressant. L’existence de mandats d’arrêts est-elle un obstacle à l’évolution du processus de paix ou l’a-t-elle, au contraire, facilitée ? Comment juger ceux qui sont parties prenantes d’un processus de paix ? Faut-il faire jouer à rebours le principe de complémentarité ? en d’autres termes, si un Etat, après avoir saisi la CPI, considère qu’il a retrouvé « capacité « de juger et « volonté » de juger une affaire, convient-il de la lui restituer ? Et, dans l’affirmative, à quelle condition ? Le problème, vous en conviendrez, est singulièrement délicat !

Son objectif d’universalité est l’un des défis permanents de la Cour. Il faut donc que plus d’Etats encore ratifient le traité de Rome et que tout soit mis en œuvre pour les en convaincre. L’autorité de la Cour dépend étroitement de son aptitude à être universelle.

Le déroulement de la première affaire dont elle va connaître, l’affaire Lubanga, est aussi un défi. Le procès devra être équitable, respecter parfaitement le contradictoire, donner sa juste place aux victimes et, surtout, ne pas se noyer dans un excès de procédure.

La place à réserver aux victimes, la juste place à leur donner, leur présence effective à l’audience ou celle de leurs représentants ou mandataires constituent aussi autant de défis auxquels le premier procès va s’efforcer d’apporter de bonnes réponses.

3) Le projet de loi d’adaptation du droit français au Statut de Rome sera bientôt examiné au parlement français. Ce projet ne retient pas l’imprescriptibilité des crimes de guerre et n’accorde pas une compétence territoriale élargie à nos tribunaux. Qu’en pensez-vous, eu égard notamment au principe de complémentarité prévu par le Statut de Rome ?

Il faut partir de l‘idée, ou en tous cas espérer, qu’un militaire français ne commet pas de crimes de guerre… Si, toutefois, tel devrait être le cas, il convient que la France puisse le juger. A cet égard, plus notre droit interne « colle » aux dispositions du Statut de la CPI moins le principe de complémentarité sera susceptible de jouer. Le projet du Gouvernement n’a, pour autant, pas entendu retenir l’imprescriptibilité mais il a prévu des prescriptions renforcées de 30 ans pour les crimes et de 20 ans pour les délits. De tels délais devraient, en principe, permettre à la France d’assumer, si besoin était, ses responsabilités judiciaires. Personnellement, je pense qu’il aurait été plus simple de s’aligner sur le Statut. On peut toutefois comprendre que le gouvernement entende réserver l’imprescriptibilité aux seuls génocide et crimes contre l’Humanité, c’est à dire à ce qui est indicible… Quant à la compétence universelle, elle figure déjà dans notre droit pour la torture, le terrorisme, les actes de piraterie etc… dès lors que l’auteur présumé des faits est « trouvé » en France (articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale)… elle est également prévue dans les textes d’adaptation relatifs à l’ex-Yougoslavie et au Rwanda… notre droit doit donc évoluer selon des modalités à définir avec soin, dans le sens d’une compétence semi ou quasi-universelle lorsque sont en cause les auteurs de faits considérés comme les plus graves (génocide, crimes contre l’Humanité, crimes de guerre). Les débats sur le projet de loi d’adaptation devraient permettre une meilleure prise de conscience de cette nécessité et, on peut l’espérer, des avancées sur ce plan.

4) Vous aurez l’occasion unique de participer à l’élaboration de la jurisprudence de la Cour pénale internationale, quelle contribution souhaitez-vous apporter ?

Mon expérience franco-française sera-t-elle utile pour mettre en œuvre le travail d’hybridation des deux systèmes de common law et de civil law réalisé dans le statut de la Cour ? Mon collègue et ami le juge Claude Jorda, lorsqu’il s’est « lancé » dans l’aventure du TPY, a apprécié la souplesse des textes qu’il avait à appliquer. Le Statut de la CPI, œuvre de compromis, est certainement plus complexe et, sans doute, plus contraignant. J’espère que les connaissances que j’ai acquises en France et que mon expérience m’aideront. Mais, tout en respectant scrupuleusement, bien sûr, les dispositions qui encadrent le travail des juges de la CPI, je souhaiterais pouvoir agir de manière aussi pragmatique que possible afin d’être le plus efficace possible. La Cour doit avancer.

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