Interview du premier conseil de la défense devant la CPI

Interview du premier conseil de la défense devant la Cour pénale internationale

Maître Jean Flamme, Avocat au Barreau de Gand, ancien conseil de la défense dans l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, conseil de la défense au TPIR.

1) Quelles sont, selon vous, les avancées juridiques importantes réalisées en matière de droit de la Défense devant la CPI ?

La principale est la création de Bureau du Conseil Public de la Défense (OPCD), même s’il reste sous-équipé aux vues du Bureau du Conseil Public des victimes (OPCV) et du Bureau du Procureur. Ce Bureau assiste les équipes de la Défense dans leur travail de recherche et de rédaction. Il constitue également "la mémoire" de la Défense, puisqu’il aura suivi tous les procès. Un conseil de la Défense arrivant à la Cour doit partir de zéro, alors que le Bureau du Procureur n’est jamais dans cette position. Je salue également le système du "E-Court", qui permet aux avocats de consulter les documents de preuve versés au dossier "on-line". Le but serait même de pouvoir le faire à distance. Enfin, le Procureur, comme un Juge d’instruction, doit examiner à décharge, ce qui n’a malheureusement pas été le cas dans l’affaire Lubanga.

2) Quelles sont, selon vous, les améliorations qui pourraient être apportées aux droits de la Défense devant la CPI ?

L’égalité des armes n’existe pas. Face aux ressources humaines énormes du Procureur et à l’avantage qu’il a en temps, la Défense est totalement sous-équipée. Elle est obligée de répondre aux requêtes et conclusions non seulement du Procureur mais également à celles des victimes. De même, l’interprétation des textes nouveaux absorbe énormément de temps. L’équipe de la Défense se voit cependant plus réduite que devant le TPIR, où il n’y a pas de victimes et moins d’écrits à déposer. La Défense a donc dû se rendre aux audiences de confirmation des charges sans avoir lu une grande partie des plus de 8.000 pages du dossier du Procureur. Les deux seules demandes de remise de délai déposée par la Défense ont été refusées, alors que quasiment toutes les demandes de remise du Procureur ont été acceptées. J’estime que la Défense a besoin d’une équipe de 10 juristes au moins. Si ce n’est le cas, la Défense est obligée de travailler dans des conditions inacceptables, pendant des week-ends et parfois de nuit.

La Défense a besoin de locaux pour que son équipe puisse travailler confortablement. Quand notre équipe était au complet, certains travaillaient debout et sans ordinateur.

Le dossier du Procureur a été constitué pendant deux années par 20 enquêteurs et 70 missions sur le terrain. La Défense, quant à elle, ne dispose que d’un enquêteur, qui a 90 jours pour les phases préliminaires et le procès cumulés. La Défense doit donc disposer de ressources d’enquête bien plus importantes.

Le dossier du Procureur est en majeure partie constitué de rapports d’ONG. Certaines sont financièrement dépendantes d’acteurs politiques ayant des intérêts mercantiles sur le terrain et ne sont donc pas objectives. Allons-nous assister au désastre que serait la "Justice des ONG", qui ne sont liées par aucune règle ? Je plaiderais donc pour le système du Juge d’instruction puisque l’examen à décharge par le Procureur est une chimère ; pour des enquêtes menées par des professionnels et non par des ONG (et même des journalistes).

La Défense n’a eu qu’une seule mission, moins de 3 semaines avant le début des audiences. A Kinshasa il n’y avait plus de bureau de la Cour, pas d’ordinateur et pas de local neutre et discret pour recevoir les témoins. A Bunia, la Défense devait utiliser les ordinateurs du Procureur ainsi que ses locaux pour recevoir les témoins (ce qu’elle a refusé). De plus, il n’existe pas d’accord de coopération entre la Cour et la Monuc pour la Défense. La Monuc pourra donc toujours refuser son assistance à la Défense, alors que cet accord existe avec le Bureau de Procureur et l’OPCV. Il faut donc absolument que la Cour mette en place : des mesures de sécurité adéquates afin de protéger les témoins de la Défense ; des ordinateurs et locaux réservés à la Défense ; des moyens de locomotion avec chauffeur à plein temps pour la Défense, comme c’est le cas au TPIR ; des bureaux et logements dignes de ce nom ; un accord avec la MONUC pour la Défense

Le Greffe a, à plusieurs reprises, été amené à sortir de son rôle de neutralité. Le plus marquant fut que la Chambre demanda au Greffe de prendre position sur une question de langue très importante concernant un élément de preuve du Procureur alors que la Défense demandait de nommer un expert. Le Greffe a également été sollicité pour prendre position sur les moyens mis à la disposition de la Défense alors qu’il faudrait qu’un organisme indépendant du Greffe décide des allocations d’aide judiciaire.

Tant dans le local réservé aux rencontres client-avocat à la Cour qu’à la prison, sont installées des caméras. Elles doivent disparaître, même si on nous assure qu’elles seraient débranchées.

L’absence d’un Barreau reconnu par la Cour constitue une menace continuelle pour les droits de la Défense. La procédure disciplinaire prévue ne peut qu’apporter une solution a posteriori aux incidents d’audience alors qu’un Bâtonnier pourrait trancher à l’audience même.

Les droits de la Défense ont été violés. En effet, la grande partie des décisions ont été rendues en anglais, une langue que Mr Lubanga ne connaît pas. Il faudrait veiller à ce que les décisions soient rendues dans la langue de l’inculpé ou alors prévoir une traduction immédiate.

Les délais d’appel sont excessivement brefs (souvent quelques jours seulement). Il faut les prolonger substantivement. De plus, il me semble aberrant que, pour la plupart des décisions, il faille demander l’autorisation à la chambre qui l’a rendue pour faire appel.

Le Procureur a systématiquement fait usage de la procédure "ex parte". Il a donc discuté son matériel de preuve seul avec le Juge, tout en sollicitant de fortes mesures d’expurgation. Ainsi lors des audiences seul le Juge et le Procureur connaissaient la totalité de ces pièces. Les mesures de protection doivent servir à protéger les témoins du public et non de la Défense. Comment vérifier les dires et la crédibilité de témoins dont on ne connaît pas l’identité, l’ethnie, la profession dans des déclarations où l’on ne retrouve même pas les lieux et dates où les faits allégués se sont déroulés ? Au TPIR le Procureur met à la disposition de la Défense un texte non expurgé. Le même raisonnement vaut pour la participation anonyme des victimes. Une fois qu’elles décident de devenir parties elles doivent abandonner l’anonymat.

La décision de laisser participer les victimes à la phase préliminaire est fortement critiquable. Il s’agit de savoir si oui ou non il existe des charges suffisantes envers le suspect, le problème du dommage n’est pas en débat. La participation des victimes à ce stade complique fortement la tâche de la Défense.

3) Que pensez-vous des décisions de La Chambre préliminaire 1 et de la Chambre d’appel qui nomment deux conseils de permanence pour représenter Thomas Lubanga ?

Je m’étonne que soient nommés deux conseils de permanence chacun devant faire une seule intervention. Monsieur Lubanga, qui est depuis bien trop longtemps incarcéré d’abord en RDC et puis à La Haye (au total 55 mois), doit disposer le plus rapidement possible d’un conseil et d’un co-conseil en plus d’une équipe d’assistants expérimentés, si l’on veut qu’il soit jugé sans retard excessif.

date de publication : 29 mai 2007

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